Archives municipales - Patrimoine - Fontenay-sous-Bois

Le lait d'ici

Le lait d'ici 

Quand Fontenay-sous-Bois était un village, la vigne couvrait la plus grande partie des versants ensoleillés de son territoire. Au milieu du XIXème siècle, elle est atteinte par la maladie du Phylloxéra et est concurrencée par les vins du Sud de la France. Le vignoble laisse progressivement la place au maraîchage, aux vergers au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle. De plus l'urbanisation croissante grignote inexorablement les terres agricoles et le village se transforme au cours du XXe en bourg puis une ville. 

La Région parisienne n'a jamais fait partie des grandes régions laitières comme peuvent l'être la Normandie ou encore la Bretagne. Mais il n'en reste pas moins que Fontenay produisait et commercialisait localement et dans la capitale du lait frais, issue de ses fermes appelée également vacheries.

La filière du lait naît au XIXe siècle suite à un changement de pratique alimentaire: la consommation de plus en plus importante du lait frais, non transformé. 

Jusqu'à là le lait était consommé sous forme de beurre, laits caillés ou fromages. Le lait cru était prioritairement dédié à la consommation des enfants et des malades. Préconisé contre diverses maladies; typhus, typhoïdes, états nerveux,… , son utilisation fut accompagnée de nombreux débats pour le moins contradictoires et enflammés. Il faut dire que le champ de ses vertus thérapeutiques supposées était aussi varié et surprenant que ses modalités d’emploi; de l’absorption naturelle à l’injection sous- cutanée en passant par la compresse, le collyre,….

Le changement est d'abord urbain et parisien, avec l'engouement du café au lait, du chocolat et de la chicorée.

La consommation laitière parisienne passe de 110 millions de litres en 1860 à 440 millions de litres en 1935.

Mais les hygiénistes restent méfiants sur les qualités nutritives du lait. 

Louis Pasteur affirmait que : "« Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons » !!!

Extrait de l' Atlas de Trudaine, 1745-1780, Archives Nationales
Extrait de l' Atlas de Trudaine, 1745-1780, Archives Nationales

Le cheptel

Première séance de la Commission agricole, 1902
Première séance de la Commission agricole, 1902
Vaches dans le bois de Vincennes
Vaches dans le bois de Vincennes
Extrait du procès-verbal de la séance du 4 novembre 1914
Extrait du procès-verbal de la séance du 4 novembre 1914

Paris et l'ancien département de la Seine comptent 20 754 vaches en 1900.

Nous ne disposons que de très peu de chiffres sur le cheptel bovin fontenaysien.

Les renseignements annuels agricoles sont très hétérogènes avant le décret ministériel du 27 août 1902. Ce dernier réforme la statistique agricole en instituant un registre communal des cultures contenant la superficie agricole et le rendement.

Il est tenu par une Commission communale de statistique agricole composée du Maire, d’un président, d’un membre du Conseil municipal ainsi que d’agriculteurs désignés par le sous-préfet. La production totale de la commune est obtenue d’après la surface cultivée et le rendement moyen de l’hectare.

Un questionnaire d’enquête annuelle traite des principales productions végétales (céréales, légumineuses, tubercules, cultures fourragères ou industrielles), des quantités destinées à la vente de quelques fruits et produits divers, des animaux de ferme et d’une statistique destinée à l’élaboration du plan départemental de ravitaillement.

Une commission se réunit pour la première fois à Fontenay le 20 décembre 1902.

Quelques semaines après la déclaration de la Première Guerre mondiale, les animaux de ferme sont en diminution suite aux réquisitions militaires. Mais le nombre de vaches est sensiblement le même que celui de l'année précédente. Fontenay compte 143 vaches en novembre 1914. Leur poids vif moyen se situe entre 550 et 600 kg. 

A l'issue de cette guerre, il reste 105 vaches laitières soit une baisse de près de 26 %.

En 1931 il y a encore 34 vaches.

La baisse est constante jusqu'en 1948, année où le cheptel des vaches laitières disparait complètement. Dans l'entre-deux guerre, de nombreux hectares sont enlevés à la culture, au profit des constructions de maison, d'immeubles et de voies nouvelles.

Nourrisseurs et laitiers

Ferme Saint-Siméon, rue Dalayrac,  au début du XXe siècle
Ferme Saint-Siméon, rue Dalayrac, au début du XXe siècle
La Ferme Sainte-Claire
La Ferme Sainte-Claire

Située entre la boulangerie et le marchand de chaussures, place d'Armes (actuellement place du Général Leclerc)

Fonds D. Codevelle

La Ferme Saint-Siméon rue Dalayrac
La Ferme Saint-Siméon rue Dalayrac

Il faut distinguer le métier de laitier de celui de nourrisseur.

Le nourrisseur est un fermier qui se spécialise dans l'élevage de vaches laitières. Une partie de la production sert à sa propre consommation.

Certains la vendent directement à la ferme, à la tasse ou en bouteille. Des femmes de nourrisseurs ouvrent des boutiques, "les crémeries", pour y vendre la production familiale de lait, de beurre, de fromage et de crème mais aussi d'œufs, voire de légumes. Ces premières crémières, limitées par le niveau de production de la vacherie de leur mari, n'occuperont qu'une part limitée du marché.

Il n'est pas rare aussi que les nourrisseurs emploient un ou plusieurs commis-laitiers, preuve que la vente prend de plus en plus d'importance dans leur activité.

Leur lait est vendu dans le village mais ravitaille aussi Paris.

Le plus souvent, les nourrisseurs confient la collecte et la commercialisation de leur surplus aux laitiers.

La première mention écrite du métier de laitier dans les archives municipales se trouve dans un acte de naissance en 1858. Auguste Leguillier ainsi que sa femme Angélique Héricourt, exercent ce métier au 5 de la rue Mauconseil.

La profession commence son expansion à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Rien que pour Fontenay, les laitiers-crémiers sont 11 avant la première guerre mondiale. La filière s'industrialise, de nombreux regroupent de laitiers s'opèrent comme par exemple La laiterie Parisienne ou La Société Maggi.

Malgré leur enseigne que l'on peut voir sur les 2 cartes postales, il ne faut pas se méprendre: les fermes Sainte-Claire et Saint-Siméon sont des dépôts de lait pour la revente et non des fermes où l'on produit le lait.


Le dépôt de lait pur de la rue Notre Dame

Rue Notre-Dame au début du XXè siècle
Rue Notre-Dame au début du XXè siècle

Le dépôt, à gauche sur la carte postale, vante la pureté de son lait vendu.

Pendant le seconde moitié du XIXe siècle et au début du 20è siècle, les laitiers doivent prendre grand soin de leur marchandise. Les moyens de conservation étant encore très succincts, il faut consommer le lait quelques heures seulement après la traite. Il n'y avait pas, alors, de chambres froides pour le conserver. Ils le versent dans de gros bidons en fer-blanc pour éviter l'oxydation.
Après la Première Guerre mondiale, le transport du lait de consommation bénéficie de deux innovations par l’emploi de camions et de wagons isothermes (sans glace mais à forte isolation).

De plus, le lait "sale" était la cause directe ou indirecte d'épidémies: la typhoïde transmise par des bidons mal lavés. 

Le consommateur craint également la tuberculose des bovins, maladie transmissible à l’homme qui contaminait 15% du cheptel, à la fin du XIXe siècle.

Une réponse fut trouvée tardivement avec la pasteurisation du lait. La prévention, le dépistage et l'élimination des bêtes atteintes enrayent les épidémies dans les cheptels.

Les fraudes aussi se multiplient et la qualité du lait s'en ressent. De nombreux laitiers ou crémiers coupent leur lait avec de l'eau pour augmenter les volumes et les profits. On l'appelle le "lait à quatre sous". On ajoute également de la farine, de la craie ... pour épaissir le lait; de l'eau oxygénée et bien d'autres substances interdites pour le conserver.

L'Etat intervient pour réprimer ces fraudes. La première loi date de 1905.


La Société laitière Maggi

La Société laitière Maggi à côté du bureau de tabac, rue Mauconseil
La Société laitière Maggi à côté du bureau de tabac, rue Mauconseil
La laiterie rue Mauconseil
La laiterie rue Mauconseil
Laiterie Maggi, avenue de la République, années 1940
Laiterie Maggi, avenue de la République, années 1940

Face aux insuffisances des procédés de conservation du lait et à l’insuccès de la poudre et du lait concentré, Jules Maggi, fils d'un immigré italien, se propose de répondre à la demande parisienne par la collecte et la distribution d’un produit contrôlé et sûr, un lait pasteurisé.

Il compte également combattre le "péril blanc" qui menace les nourrissons qui ne peuvent être nourris au lait maternel.  

90 000 enfants en France (dont 20 000 à Paris) meurent du choléra infantile au début du xxe siècle. 

À cet effet, il crée en 1902 la Société laitière Maggi (SLM), dont le nombre de points de vente dans Paris passe de 8 en 1903 à 250 en 1906 et 842 en 1914, alimentés par de nombreux dépôts ouverts autour du bassin laitier parisien. 

En novembre 1911, la SLM crée son propre laboratoire de contrôle, l’Institut du lait.

Le slogan publicitaire de Maggi: "Il faut ne distribuer que du bon lait aux nourrissons".

Le succès des ventes passe de 21 000 litres de lait par semaine en 1903 à plus d'un million de litres par semaine en 1912

En 1914, la Société laitière Maggi dispose à Fontenay de 3 boutiques de revente de lait: une au 4 rue Mauconseil, une autre au 3 rue Pasteur et enfin une dernière au 48 avenue de la République.

Afin de limiter la concurrence, une partie des grossistes et des autres sociétés de distribution renoncent à mouiller leur lait.


La ferme du Fort ou la Maison Célarier

La ferme du Fort
La ferme du Fort
Intérieur de la ferme du Fort
Intérieur de la ferme du Fort
Bouteille de lait de la ferme du Fort
Bouteille de lait de la ferme du Fort

Collection privée.

Carriole de livraison du lait de la ferme du Fort de Nogent au début du XXe siècle.
Carriole de livraison du lait de la ferme du Fort de Nogent au début du XXe siècle.

Fonds D. Codevelle

Paris déplace progressivement au cours du XIXe siècle ses vacheries vers sa banlieue.

Les médecins soupçonnent les vacheries insalubres, mal tenues, de diffuser certaines maladies. les nuisances sont de moins en moins admises par les citadins de Paris qui se modernise.

Les autorités parisiennes privilégient les nourrisseurs les plus proches de la capitale. Cette proximité limite les risques de développement des microbes dans le lait qui est commercialisé à Paris. Le lait est consommé peu de temps après la traite et permet ainsi d'éviter les manœuvres brutales de la pasteurisation ou de la stérilisation.

Cela explique la présence de plusieurs vacheries à Fontenay. En 1891 on en dénombre 7; 10 en 1908 et à nouveau 7 en 1914. 

La ferme du Fort de Nogent se situait rue ou sentier de la Corneille, près du Fort situé principalement sur le territoire de Fontenay.

On y élevait de la volaille et des vaches. Le lait était vendu « à la tasse » ou en bouteille après la traite. Cela incitait les nourrisseurs-laitiers à plus de propreté et réduisait le mouillage. Mais ce lait est plus cher ! 

L'exploitation possédait également une carriole pour distribuer le lait dans le village et aux alentours.

Mr. Jean Célarier s’inscrit à plusieurs concours agricoles où il gagne de nombreux prix. En 1891 au concours régional de Versailles avec « une des plus belles bandes de vaches laitières » (Journal de l'agriculture), de la race des Montbéliardes. Et encore en 1907. Il obtient un prix pour une femelle de la race fribourgeoise rouge et blanche de 5 ans. En témoignent les médailles peintes sur sa bouteille de lait. Il ne doit pas faire partie de ces nourrisseurs qui entretiennent très mal leurs bêtes.

La plupart des vaches laitières ne sont jamais sorties ni même détachées. Leur nourriture est abondante mais de piètre qualité.

Les nourrisseurs achètent des vaches, ayant eu déjà 4 à 6 veaux, à des fermiers qui eux-mêmes les ont achetées sur des marchés spécialisés, situés aux portes de Paris. 

En 1916, la vacherie est remplacée par un élevage de porcs.

La ferme cesse toute activité en 1932. 

Les bâtiments ont disparu. 


La Grande vacherie des Pelouses

Dégustation de lait frais sur les pelouses du Bois de Vincennes, début XXe siècle
Dégustation de lait frais sur les pelouses du Bois de Vincennes, début XXe siècle
Bouteille de lait de la grande vacherie des Pelouses
Bouteille de lait de la grande vacherie des Pelouses
Bâtiment actuel au 22 rue Saint-Vincent, ancienne vacherie des Pelouses
Bâtiment actuel au 22 rue Saint-Vincent, ancienne vacherie des Pelouses

Cette vacherie se situe au 22 rue Saint-Vincent, proche des pelouses du bois de Vincennes, d’où le nom donné à cette ferme. 

Les vaches allaient très certainement brouter sur les pelouses de ce bois, gage de la bonne qualité du lait.

Dans son compte rendu du 4 novembre 1914, la commission agricole communale nous apprend que la Maison Melet nourrit 17 vaches qui pesaient en moyenne 580 kilos. 

Le travail à l'étable est rythmé par les 2 traites manuelles et quotidiennes. La première commence dès 3 heures du matin. Le délai entre 2 traites est de 12 heures. Souvent le vacher dort dans l'étable, à côté des bêtes.

M. Melet succédait à François Berger. 

Le bâtiment existe toujours.

Une inscription peinte sur sa façade témoigne de ce passé rural. Mais combien de temps pourront nous encore l’apercevoir ?

Les archives municipales conservent une bouteille de lait de cette exploitation.

On trouvait dans cette même rue, une autre vacherie, tenue par Michel Degravèle. C'est une exploitation familiale: ses 3 enfants, son gendre y travaillent. M. Degravèle emploie également 4 commis-laitiers. 

Leur travail est rythmé par les 2 traites manuelles et quotidiennes. La première commence dès 3 heures du matin. Le délai entre 2 traites est de 12 heures.

Bibliographie:

Pierre-Olivier Fanica, Le lait, la vache et le citadin. Du XVIIe au XXe siècle. Paris, Editions Quae, 2008, 489 p.

Michel Phlipponneau, Les laitiers nourrisseurs de la banlieue parisienne. Bulletin de l'association de géographes français, n°198-199, janvier-février 1949, pp. 9-18.


Les fermes

Ancienne ferme 5 rue Saint-Germain
Ancienne ferme 5 rue Saint-Germain
Ancienne ferme  4 rue de Rosny
Ancienne ferme 4 rue de Rosny
Ancienne ferme 12 rue Mot (avant sa rénovation)
Ancienne ferme 12 rue Mot (avant sa rénovation)

Grace aux listes de recensement de la population et aux registres d'état civil, nous connaissons l'adresse d'autres établissements de nourrisseurs que ceux de la rue de la Corneille et de la rue Saint-Vincent.

On recense :

  • 3 nourrisseurs dans la rue Boschot (aux n° 11, 23 et 27)
  • 2 nourrisseurs dans la rue du Cheval-Rû dont la Ferme Laiterie Rivière au numéro 4 (et un autre au n° 6)
  • 1 nourrisseur rue Chevrette (au n° 12)
  • 1 nourrisseur rue Grandbout qui est actuellement la rue de Neuilly (au n° 36)
  • 3 nourrisseurs rue de Nogent devenue aujourd'hui rues de Joinville et Pierre Brossolette (aux n° 17, 21 et 29)
  • 2 nourrisseurs rue du Parc, devenue rue du Commandant-Jean-Duhail (aux n° 6 et 9)
  • 1 nourrisseurs chemin Saint-Denis devenu rue Gay-Lussac (au n° 2) ...

Sont encore visibles dans la ville une quarantaine de bâtiments qui étaient d'anciennes fermes (Pas forcément des vacheries). 

On les reconnaît grace à leur porte cochère ou charretière qui donnent souvent accès à des cours intérieures.

Leurs façades sont très peu décorées, avec parfois une corniche séparant un étage, enduites de chaux ou de plâtre.

Les fenêtres sont de tailles irrégulières, parfois très petites et disposées sans alignement.

Sous le toit se trouvent des lucarnes utilitaires avec une potence et une poulie de levage utilisés pour hisser les sacs de grains.

A vous de les repérer lors de vos promenades en ville ...


C'est quoi cette bouteille de lait ...?

Bouteilles de lait
Bouteilles de lait

Conservées au service des Archives municipales de Fontenay-sous-Bois.

Fonds D. Codevelle

Service communication de Fontenay-sous-Bois, photo P. Deby.

Bouteille vendue par A. Roulleau, rue des Moulins, début du 20e siècle.
Bouteille vendue par A. Roulleau, rue des Moulins, début du 20e siècle.

Service communication de Fontenay-sous-Bois, P. Deby.

Ces bouteilles de lait sont utilisées pour une consommation individuelle.

A la fin des années 30, les laitiers et les nourrisseurs de Fontenay pouvaient trouver des "articles pour laiteries" au 196 rue des Moulins, chez Albert Roulleau, ferblantier, tolier. Cet artisan a d'ailleurs signé son nom sur les bouteilles (voir photo).

Lorsqu'il s'agit de grande collecte et de grande distribution, on passe, à partir de 1860, du pot en verre avec bouchon de bois au bidon cylindrique en métal.

De nos jours la "Tetra brik" l'emporte !

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