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Roger se souvient de Marcel...

Roger se souvient de Marcel...

Roger Trépant a 19 ans lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate.

Il habite Paris et fait son apprentissage de tapissier dans le quartier populaire de la Bastille. Sa mère tient une boutique de parapluies dans le 11e arrondissement.

Suite à l'appel du 18 juin 1940 du Général de Gaulle et ne supportant pas la présence des Allemands en France, Il s'engage à l'âge de 20 ans dans la Résistance.

Après plusieurs actes de sabotages, il est arrêté par les nazis et envoyé dans une prison en Allemagne. Il y passera plus de 8 mois et verra plusieurs de ses camarades décéder.

Il est déporté au camp de concentration de Gross-Rosen, en Pologne. C'est là qu'il rencontre Marcel Gaucher, fontenaysien.

Roger recueille les dernières paroles de Marcel, un testament oral, en quelque sorte.

La guerre finie, dès 1945, Roger fait partie de la FNDIRP (Fédération nationale des déportés, internés, résistants, patriotes). Et de ce fait il est abonné au journal Le Patriote résistant, trait d'union entre les résistants et les familles à la recherche de leurs disparus. Il témoignera également sur les fusillés du wagon n° 16 à Lobositz en Pologne.

Roger Trépant, résistant, rescapé des camps de la mort, n’a de cesse de transmettre et de témoigner auprès des nouvelles générations des faits qu'il a vécus et des paroles des disparus. Il va dans les écoles, les lycées, la prison de Fresnes, raconter son histoire, l'histoire de ses camarades disparus.

 

 

 

Le camp de Gross-Rosen

Nous sommes à la fin de l'année 1944, au camp de concentration de Gross-Rosen, situé actuellement en Pologne. A l'époque le camp est sur le territoire allemand, tout à l'Est, en Silésie.

Le camp de Groos-Rosen a été construit en 1940, il n'est alors qu'un satellite du camp de Sachsenhausen. Il fait partie des camps de la seconde génération, c'est à dire lié à l'expansion territoriale du Reich allemand. Il est réservé alors aux polonais arrêtés par les nazis.

Le camp devient autonome en 1941 et possède à son tour une centaine de camps satellites.

Dans les derniers mois de son existence et suite à l'avancée des soviétiques à l'Est, il reçoit les déportés provenant d'autres camps et notamment ceux d'Auschwitz. Les Français sont alors plus nombreux.

Roger et Marcel se trouvent alors  dans un baraquement appelé en allemand Revier, où étaient regroupés les prisonniers malades des camps. On peut traduire cela en « baraque de soins ». Les Français prononçaient le Revir ou Révir. Lorsqu’on y entrait, on avait peu d’espoir d’en sortir vivant. Les produits pharmaceutiques étaient rares, seuls les soins de premiers secours étaient donnés.

Roger Trépant témoigne : - Le chef [un kapo] de la baraque 17 où je me trouvais,  m’avait envoyé au Révir. Le Révir c’était là où l’on soignait mais c’était vraiment d’être soigné sans médicament. Il n’y avait pas de médicament, rien, et le Révir était commandé toujours par un rayé qui était allemand. Et qui avait le triangle vert. C'est-à-dire que c’était des prisonniers criminels allemands.» (Retranscription du témoignage oral effectué en 2004, au domicile de Roger).

Les déportés polonais faisaient office d’infirmiers. Les rations alimentaires étaient réduites, comparées à celles des prisonniers en état de travailler.

Roger est au Révir suite à une conjonctivite purulente contractée à cause de la poussière de granit produite lors de l’extraction, dans la carrière située à côté du camp,  des pierres par les prisonniers du camp. 

Le plan du camp est semblable à beaucoup d'autres. Il se distingue tout de même par un campanile supportant une cloche qui rythme la vie des détenus: les appels interminables, sous le froid, les exécutions ...

Marcel est atteint d’une tuberculose intestinale. D'après Roger, Marcel ne travaillait pas dans la carrière de granit car les chefs d'accusations contre lui auraient dû l'envoyer directement à la mort, au peloton d'exécution.

C’est pourtant au Révir qu’ils se rencontrent.

La vie de Marcel Gaucher

Roger Trépant nous décrit leurs conditions de couchage dans le Revir:

"Nous avions des lits à 3 étages, en bois. Nous étions à 3 dans ces lits ; 2 couchés l’un à côté l’un de l’autre et un qui était entre nos jambes, sens inverse…"

Ensuite vient la rencontre entre lui et Marcel Gaucher:

"Et alors au bout de 2,3 jours, il y avait à côté de moi un homme, un camarade déporté. C’était un homme qui avait 45 ans. Il m’a interpelé, il m’a demandé si j’étais français."

S'ensuit un dialogue entre Roger et Marcel:

RT: - Oui et toi ? 

MG: - Oui je suis français aussi. De quel coin tu es ?

RT: - Je suis de Paris et j’habite chez mes parents rue Camille Desmoulins dans le 11e

MG: - Oh ! Moi je ne suis pas loin, j’habite à Fontenay-sous-Bois, la rue du Clos d'Orléans.

D'après nos recherches, Marcel Gaucher habitait rue Castel (actuelle rue Marcel et Jacques Gaucher).

Les jours suivants les deux hommes poursuivent leur échange, silencieusement. Les surveillants interdisaient aux malades de parler. Roger apprend que Marcel habite un petit pavillon  avec sa femme et son fils unique, Jacques. Ce dernier a l'âge de Roger, il est né en 1920. Jacques suit des études de droit. Les parents de Marcel habitent la rue d’à côté.

 

Né en 1894 à Paris, Marcel est chef de bureau à la Préfecture de Police de Paris.

Marcel et son fils sont des résistants de la première heure. Tous deux furent à l’origine de la formation des premières organisations de renseignements et des liaisons entre les réseaux naissants. Victimes de dénonciations, ils furent arrêtés, à quelques heures d’intervalle, le 9 octobre 1941, par la Gestapo qui trouve des armes et des tracts dans le jardin de la maison, rue Castel.

Après 2 mois passés à Fresnes, ils furent dirigés sur Hagen en Westphalie et transférés de prison en prison. Ils furent ensemble à Cologne mais à Berlin ils sont séparés.

Marcel est envoyé à Breslau puis jugé et condamné à 5 ans de travaux forcés comme « chef de la résistance ». Marcel est déporté au camp de concentration de Gross-Rosen (situé en Allemagne à l’époque). Il ne sait pas où est envoyé son fils. Ils ne se reverront jamais.

Nous savons par ailleurs que Jacques est interné successivement à Sonnenburg, Sachenhausen, Buchenwald, Langenstein. Le 18 avril 1945, il disparaît quelque part entre Torgau et Riesa sur l’intervention d’un SS et personne ne devait le revoir vivant.

De tout ce parcours de résistant, de son arrestation, Marcel n'en parlera pas à Roger. 

Au fil des jours, la voix de Marcel faiblit, devient presque inaudible. Roger, en l’écoutant, sent que Marcel veut que son compagnon de Révir garde en mémoire ce qu’il dit, pour témoigner.

Ils partageaient les derniers instants de vie de Marcel. Roger en est très touché et ému.

3 tableaux

Marcel lui apprend qu’il aime la musique et qu’il peint :

Marcel : - Tu sais je fais de la peinture et lorsque tout ça sera terminé nous rentrerons chez nous. Tu viendras chez moi, je te ferai voir mes toiles, mon travail et en souvenir de notre rencontre ici, je t’offrirai une peinture.

La santé de Roger s’améliore, ses yeux guérissent, il repart à son baraquement n° 17 pour travailler à la carrière de granit qui se trouvait juste à côté du camp.

Il ne reverra plus Marcel. Un camarade de camp  apprend à Roger le décès de Marcel. Son corps est transporté au four crématoire du camp, le 24 décembre 1944.

On estime qu'environ 200 000 détenus sont passés par le camp de Gross-Rosen et qu'environ 40 000 d'entre eux ont trouvé la mort. 

Roger Trépant survit à l'évacuation des camps. Il est libéré par les soviétiques vers Prague. Après une convalescence près d'Annecy, il reprend ses activités à Paris mais n'oublie pas les dernières paroles de Marcel. Il retrouve l'adresse de sa famille grâce à la Préfecture de Police de Paris.

Une première rencontre a lieu chez les parents de Marcel. Ils sont une vingtaine à écouter Roger, à poser des questions sur Marcel, sa fin de vie ... Roger est bouleversé.

Madame Gaucher le recontacte. Il revient mais cette fois-ci dans le pavillon de Marcel, rue Castel. Elle a réuni toutes les affaires de son mari et de son fils. Et c'est à ce moment-là que Roger lui raconte la promesse de Marcel à propos des tableaux. Elle lui décroche 3 tableaux et lui donne. Elle accomplit la volonté de son mari. 

En 2004, lorsque Roger Trépant donne les tableaux de Marcel Gaucher à la ville et explique son geste.  Il nous confie : "Je pense toujours à ce moment où j'ai vu monsieur Gaucher. Je l'ai toujours en mémoire."


Une rue, des pavés

En 1947, la ville de Fontenay-sous-Bois, en hommage à Marcel et Jacques Gaucher, donne leur nom à une partie de la rue Castel (du boulevard de Vincennes à la rue Emile Roux). 

On les retrouve également gravés sur le monument commémoratif des victimes de la seconde Guerre mondiale, le Mémororial de la liberté, situé à l'angle de l'avenue de Neuilly et du boulevard Gallieni.

Plus récemment, des pavés de la mémoire ont été incrustés dans le trottoir, devant l'ancienne résidence de Marcel et Jacques Gaucher. 

 Retrouvez la cérémonie du 29 avril 2019 de pose de ces pavés  

Retrouvez également le témoignage complet de Roger Trépant, L'histoire simple de trois petits tableaux

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