1944, l'affaire du cinéma du Kosmos
1944, une année violente et décisive
Au printemps de l'année 1944, la situation est tendue. Depuis près de 4 ans, la France est occupée mais le cours de la guerre a changé. Les Alliés anglo-américains, avec les troupes de l’armée d’Afrique, sont en Italie et à l’Est, les troupes soviétiques sont aux portes de la Roumanie, de la Hongrie et même du Reich.
Les actions de résistance contre les troupes allemandes et les collaborateurs se multiplient. La répression de la police et de la Milice française (troupe paramilitaire supplétive de la gestapo) est violente.
Des manifestations hostiles à la collaboration ont lieu régulièrement. Les affiches de propagande allemande ou vichyste sont régulièrement lacérées et couvertes de graffitis. Des sabotages de fils téléphoniques allemands ont lieu depuis la fin de 1943 entre Montreuil, Rosny et Fontenay. Les occasions ne manquent pas.
Une séance du cinéma le Kosmos
Années 1940
Support : papier
Sans cote
Dimanche 19 mars 1944, la séance du cinéma Le Kosmos est perturbée. La salle est bondée, le cinéma étant un des seuls loisirs accessible en cette période de guerre. La soirée débute comme à chaque fois par les actualités cinématographiques. Elles sont produites par une société mixte franco-allemande sous le nom de France-actualité. C’est un outil de propagande du régime de Pétain et surtout de l’Occupant. Parmi les reportages diffusés, un discours que le nazi wallon Léon Dregrelle a prononcé le 5 mars au Palais de Chaillot lors d’un rassemblement des SS français, de la Milice et de la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme. Dans une allocution enflammée, il exalte les combats des SS sur le Front russe et parle de « nouvelle chevalerie européenne ». Il appelle à l’union de tous les nazis d’Europe contre le communisme.
C’en est trop pour plusieurs jeunes de la salle qui sont déjà en contact avec la Résistance et qui n’en sont pas à leur première action : Marcel Guth, Jean Lillier et Félix Skurczinski dont le père, ouvrier polonais et résistant communiste a déjà été arrêté et déporté. Les sifflets, les noms d’oiseaux et les cris fusent. Amplifiés par les voix de plusieurs de leurs copains, jeunes âgés de 14 à 21 ans, ils couvrent vite le discours de l’orateur nazi.
La réaction ne se fait pas attendre. Dans la salle en effet sont présents les frères M…. tous deux miliciens et leur père commandant de la LVF (Légion des Volontaires Français). Le père et un des fils seront fusillés après la Libération pour collaboration et le second fils sera tué en Indochine en 1948.
Ces trois collaborateurs tentent de faire taire les jeunes manifestants. A la sortie du cinéma ils tentent de les arrêter mais provoquant une bousculade le groupe de jeunes parvient à s’échapper. Pas pour longtemps.
Les persécutions
Dépôt numérique
cote: 5Fi238
Dans les jours qui suivent, neuf jeunes sont arrêtés par les feldgendarmes allemands : les frères Jelhé André, Raymond et Daniel, Eugène Trégret, Raymond Leconte, le jeune Pianetti, ainsi que Jean Lillier, Félix Skurczinski et Marcel Guth. Amenés au Fort de Nogent et à la Kommandantur, ils sont séparés dans diverses cellules, tabassés et interrogés durant des heures. Ils passent ensuite une nuit au dépôt, puis les Allemands les internent à la prison du Cherche-Midi. Ils sont jugés sans comparaître par le tribunal militaire et condamnés pour « manifestation anti-allemande » à des peines de 3 à 5 mois de prison. Ils sont dispersés dans divers lieux de détention : le Fort de Villeneuve-Saint-Georges, la prison des Tourelles et celle de Troyes. Sept sur neuf sont libérés en juillet et les deux plus âgés rentrent seulement après la Libération de Troyes.
D’après le témoignage de Marcel Guth, août 2013.